Par : Abdelhamid Benhmade

La COVID-19, et si nous en profitons pour renouer des liens plus étroits avec l’informel? Nombreuses sont les personnes frappées de plein fouet par une crise aussi inédite que celle-ci. 62% de la population active mondiale ne peut pas se permettre le privilège de se confiner,  soit, plus de 2 milliards de personnes qui dépendent des activités informelles (OIT 2020). En réponse à quelques questions que soulève le débat sur l’informel à l’ère de la COVID-19, nous nous donnons pour objectif de répondre à deux questions fondamentales, en l’occurrence, Quelles sont les conséquences économiques et sociales sur l’emploi informel en Afrique? Quelles sont les mesures innovantes qui ont été déployées pour atténuer ces répercussions ?

La COVID-19 prend à la gorge l’informel

En Afrique, l’informel demeure la principale source d’emploi (85,80% du total des emplois), notamment, pour les femmes qui en dépendent plus que les hommes (Figure 1) (OIT 2019). La récession actuelle entraîne directement la perte de revenus et la hausse de la pauvreté. 5 millions à 29 millions de personnes passeraient sous le seuil de pauvreté extrême fixé à 1,90$ par jour. Les employés informels seraient les victimes les plus affectées selon la CEA (2020). Ils risquent de basculer dans la pauvreté transitoire et d’y rester pendant une décennie ou plus.

Étant donné qu’ils manquent le plus souvent d’épargne et de couverture de protection sociale, la plupart parmi eux n’ont le choix que d’utiliser leurs fonds de roulement pour la consommation. Dès lors, ils sont contraints de cesser leurs activités informelles de façon temporaire ou définitive. Puisque la création annuelle d’emplois formels devrait chuter de 1,4% à 5,8% en 2020, ils seraient plus exposés à l’emploi précaire faute de revenus de remplacement (CEA 2020).

Force est de supposer que ces conditions soient propices à l’augmentation du travail des enfants, d’une part, et à la baisse des taux de scolarisation en particulier chez les jeunes filles, d’autre part.

Figure 1 : L’informel en Afrique, 2016


Source : OIT 2019

Le Mobile Money joue en faveur de l’inclusion sociale

À l’échelle continentale, plusieurs initiatives ont vu le jour pour venir en aide au secteur informel. De nombreux pays ont eu recours au mobile money pour distribuer des revenus de solidarité. Au Maroc, 4,2G Dh (5,8G $ CAD) ont été déployés pour dédommager les familles travaillant dans l’informel. Alors qu’une première opération d’indemnisation ait déjà soutenu 3,9 millions de familles, une deuxième opération vient d’être lancée pour supporter un million de familles, notamment, celles qui résident dans les zones rurales les plus enclavées du royaume (MEFRA 2020). Pour parvenir à distribuer mensuellement ces revenus de solidarité allant de 800 Dh (111,14 $ CAD) à 1200 Dh (166,71 $ CAD), l’État a créé en amont une plateforme numérique où les demandeurs peuvent s’inscrire, et activé en aval un dispositif de paiement mobile pour transférer les aides consenties. Au Malawi, un dispositif similaire est mis en place au profit des ménages les plus pauvres ; 172 000 familles reçoivent mensuellement un revenu de solidarité estimé à 40£ (68,03 $ CAD) (BBC, 2020). À ces interventions exemplaires s’ajoute également l’initiative prise par les autorités togolaises. Au Togo 420 000 personnes actives dans l’informel ont reçu des transferts mensuels individuels de 20€ (30,32 $ CAD) (Aït Saïd 2020). L’innovation montre ainsi que de nombreuses initiatives jadis irréalisables, sont rendues désormais possibles, et ce, en un temps-record.

Attention, une réalité à ne pas ignorer !

Bien que ces mesures atténuent les conséquences économiques et sociales de la Covid-19, elles demeurent peu inclusives. Nagla Rizk, directrice du centre Access to Knowledge for Development et professeure à l’Université Américaine du Caire, note que la plupart des acteurs de l’informel égyptiens n’ont pas eu accès aux revenus de solidarité distribués par leur gouvernement 1 Premièrement, les revenus en espèces ciblent 2,5 millions de travailleurs informels soit uniquement 12,5% des 20 millions de travailleurs employés par l’informel (Saafan, 2020). Deuxièmement, alors que les informations sur la procédure à suivre et les formulaires à remplir sont publiés en ligne, l’infrastructure numérique est peu développée, les cybercafés sont chers et plus de la moitié des égyptiens n’a pas accès à internet. À ces défis s’ajoutent également d’autres défis relatifs à la faible bancarisation et à l’analphabétisme. Pour s’assurer que les retraits de ces aides se déroulent dans les meilleures conditions sanitaires, le gouvernement a procédé par des transferts cash via les guichets automatiques. Toutefois, seulement 32,8% de la population égyptienne est bancarisée, laissant constater que 67,2 % dépendent de l’argent liquide (Banque mondiale, 2018). En Égypte, le taux d’analphabétisme est de 26% pour les femmes et de 14,4% pour les hommes (Al-Youm, 2017). Par conséquent, les formulaires ont été remplis par des voisins et des associations qui sont intervenus pour aider les bénéficiaires potentiels. Finalement, faute de données sur les acteurs de l’informel, plusieurs groupes marginaux sont exclus de l’initiative du gouvernement (Rizk, 2020). Seuls les citoyens ayant la fonction de travailleur irrégulier sur leurs cartes d’identité sont éligibles, ceux qui sont sans emploi sont inadmissibles. Les citoyens, qui vivent de l’électricité empruntée dans les bidonvilles, n’ont pas de facture de services publics requise pour l’appui du gouvernement. Il en va de même pour les femmes divorcées ou séparées vivant dans des logements enregistrés au nom de leurs ex-partenaires. Pire encore, sur les formulaires à remplir, seuls les métiers traditionnellement masculins peuvent être cochés. Les métiers traditionnellement féminins n’y sont pas mentionnés. Force est de constater que ces biais de genre excluent davantage les femmes (Rizk, 2020).   

Sans aucun doute, toutes les initiatives qui se sont développées un peu partout sur le continent africain méritent d’être saluées. En revanche, l’informalité nécessite de nouvelles approches de collecte de données qui soient plus appropriées et plus sophistiquées. Il est temps que la recherche scientifique éclaire les politiques et stratégies publiques.

  1. Lors de sa participation aux conférences virtuelles organisées par le Centre de recherche en droit, technologie et société.