Par Aboubacry Kane

Le secteur informel ignoré par le plan de relance économique

La pandémie du Covid-19 continue toujours de sévir dans le monde. Après plusieurs mois de confinement et de restrictions qui ont ralenti l’activité économique, beaucoup de pays menacés de récession lèvent progressivement ces mesures. En Afrique de l’Ouest, la levée de ces mesures est accompagnée de programmes de soutien à la population et aux entreprises. 

En Côte d’Ivoire, le gouvernement a annoncé un plan de soutien de 1700 milliards de FCFA, soit un peu plus de 3 milliards de dollars USD, pour soutenir les opérateurs économiques et la population, dont 200 milliards de FCFA (environ 360 millions de dollars USD) pour les PME formellement constituées et 100 milliards de FCFA pour le secteur informel. Au Sénégal, le Gouvernement a récemment ordonné la réouverture des marchés, la levée du couvre-feu, la reprise des activités scolaires et la mobilité inter urbaine, ainsi que la réouverture des frontières. Cette décision est accueillie comme un ouf de soulagement dans le pays, où 9 travailleurs sur 10 occupent un emploi informel (selon les données de l’enquête nationale sur l’emploi de 2015). Pourtant, le secteur informel, qui a été fortement touché par la pandémie, n’est pas concerné par les 1000 milliards de FCFA (environ 1,8 milliard de dollars américain) du Programme de Résilience Economique et Social (PRES), prévu pour accompagner les entreprises affectées par les conséquences de ladite crise. Les principaux bénéficiaires de ces mesures de soutien sont les entreprises formelles, notamment, le secteur du tourisme, l’hôtellerie, l’éducation, les transports… L’État estime que le programme de distribution de denrées alimentaires à 1 million de ménages, soit 8 millions de personnes, touchera les travailleurs du secteur informel. Même si l’initiative est louable, le kit alimentaire, composés de 100 kg de riz, 10 kg de sucre, 10 kg de pâtes alimentaires, 10 litres d’huile et 1 paquet de savon, est loin de répondre aux besoins des entrepreneurs et travailleurs du secteur informel. Beaucoup d’entre eux se sont plaints de n’avoir pas reçu ces denrées. Ainsi le secteur informel ne peut compter que sur lui-même pour survivre. 

…Et pourtant le secteur informel porte l’économie sénégalaise

La relance de l’économie sénégalaise est fortement tributaire de la survie de son secteur informel. En effet, l’économie sénégalaise se caractérise par une forte présence du secteur informel qui contribue à hauteur de 41,6% du PIB et 39,8% de la production nationale (DPEE, 2018). Le secteur informel sénégalais qui est dominé par les femmes est un grand pourvoyeur d’emplois. Les femmes et les jeunes les moins instruits constituent les groupes les plus exposés à l’emploi informel. Globalement, 94,1% des femmes entrepreneures opèrent dans le secteur informel contre 86 % des hommes. Ces forts taux d’informalité parmi les femmes concernent surtout les secteurs de la restauration, du commerce et de la transformation de produits alimentaires et de la pêche (OIT, 2020). 

La survie : entre innovation et l’espoir d’une hausse de la consommationLaissés à leur propre sort, les entrepreneurs et travailleurs du secteur informel ont dû faire parler leur sens de créativité. Si certains se sont orientés vers le numérique, notamment, les plateformes de vente en ligne et les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp), pour écouler leurs produits, d’autres se sont mis à la fabrication et à la vente de masques. La plupart des jeunes commerçants se sont reconvertis dans les services de livraisons à domicile. Ces derniers continuent d’attirer de plus en plus de personnes. Cependant, tous n’ont pas les mêmes capacités d’adaptation, notamment, les femmes. Au Sénégal, les métiers de livreurs à domicile sont essentiellement masculins. De plus, le faible niveau de scolarisation des femmes du secteur informel et leurs faibles capacités d’utilisation des TIC limitent leurs possibilités. 

La survie du secteur informel, particulièrement chez les femmes, est donc basée sur l’espoir. L’espoir de voir d’abord les lieux de commerce rouverts et les restrictions levées. Ensuite, l’espoir de voir la consommation des sénégalais repartir en hausse. Les difficultés d’écoulement de la production demeurent la principale contrainte pour 30,5% des entrepreneurs informels qui sont confrontés à un environnement fortement concurrentiel et à une insuffisance de la demande. Pour beaucoup de travailleurs du secteur informel, la fête de l’Aid al Adha est une belle occasion pour relancer leurs activités. En effet, en période de préparatifs de fête, les sénégalais dépensent beaucoup pour l’achat de denrées alimentaires, de tissus, de prêt-à-porter, de chaussures et autres produits de beauté. Ainsi, la plupart des branches de l’activité informelle connaissent une hausse de leur chiffre d’affaires. À l’image des commerçants et des fabricants de chaussures et de sacs en cuir qui ont repris leurs activités qui marchent plutôt bien après être restés longtemps sans revenus.  Khady l’une des nombreuses femmes qui vendent des tissus au marché ‘’HLM’’ de Dakar témoigne ‘’ On a trop souffert durant la fermeture des marchés, c’était très difficile de joindre les deux bouts, l’État ne nousa pas aidé, mais avec l’approche de la Tabaski on parvient à vendre nos marchandises et s’en sortir’’.

C’est le même son de cloche chez Amadou, un entrepreneur qui fabrique des chaussures et des sacs à main en cuir au marché ‘’Tiléne’’ de Dakar. Il révèle ’’ Dans mon atelier, je travaillais seul durant les trois derniers mois, mais avec l’approche de la fête les commandes sont plus nombreuses alors j’ai rappelé les 4 employés que j’avais libérés pour satisfaire la demande’’. 

Conscient de l’importance et des enjeux économiques de cette période de préparatifs de fête, le Gouvernement a dû reporter la démolition du marché de ‘’Sandaga’’, le plus grand marché de Dakar, jusqu’au lendemain de la fête.

Sans plan de soutien réel de l’État du Sénégal, les PME informelles ont montré leur capacité d’adaptation et de reconversion face à la pandémie du Covid-19. En quête de survie, les femmes du secteur informel, moins flexibles à ces changements, sont les plus vulnérables. Avec la crise économique qui se pointe à l’horizon, les entrepreneures informelles devraient miser davantage sur l’innovation participative pour survivre et pérenniser leur activité, dans un milieu de plus en plus concurrentiel.

Open AIR et les PME informelles face à la pandémie du Covid-19

Open AIR organise un webinaire sur l’informel à l’ère de la Covid-19 en Afrique. Cet évènement, qui aura lieu vendredi le 28 août 2020, sera l’occasion d’obtenir des réponses plus globales sur les conséquences économiques et sociales de ladite crise sur les acteurs informels en Afrique et les leviers de la relance post-pandémie. Il réunira des panélistes qui ont étudié la problématique de l’informalité en Afrique, notamment, Ahmadou Aly Mbaye, Professeur et Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ; Oumnia Boualam, Directrice générale d’Oxford Business Group, Maroc ; Erika Kraemer-Mbula, Professeure à l’Université de Johannesburg ; Um-Ngouem Marie-Thérèse, Professeure et Doyenne de la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université de Douala ; et Florent Song-Naba, Professeur de l’Université Ouaga II. À l’issue de cet événement, il serait intéressant de forger de nouveaux partenariats et collaborations sur des projets de recherche, afin de proposer des solutions pratiques pour soutenir le secteur informel africain.