Par Abdelhamid Benhmade

La guerre des vaccins est-elle désormais plus coûteuse que la guerre contre la pandémie ? Sans doute, la production de plusieurs vaccins anti-coronavirus en moins d’un an est une réalisation scientifique sans précédent. Toutefois, un tel succès, aussi louable soit-il, est présentement miné par un nationalisme vaccinal inquiétant et préoccupant. Tandis que la vaccination s’accélère dans les pays du Nord, certains pays du Sud seraient obligés d’attendre jusqu’à cinq ans pour se procurer les doses nécessaires. Un accès inégal aux vaccins pourrait retarder la relance post-pandémie et entrainerait de lourdes conséquences économiques au Nord comme au Sud.

Le Nord et le Sud, deux mondes, mais un seul destin

Selon une recherche publiée par le National Bureau of Economic Research, assurer un accès gratuit et universel aux vaccins anti-coronavirus est, non seulement un acte altruiste et moral, mais surtout, une nécessité économique. En principe, les coûts économiques à supporter en raison du nationalisme vaccinal sont plus élevés que les coûts associés à la vaccination gratuite et universelle.

Alors que les coûts économiques de la pandémie pourraient varier entre 1,5 et 6,1 trillions de dollars, en 2021, les coûts à assumer pour produire et distribuer des vaccins gratuits et universels sont estimés à 27,2 billions USD (Çakmaklı et al., 2021). Ironiquement, une part significative de ces coûts économiques serait soutenue par les pays du Nord, bien qu’ils soient en mesure de vacciner la plupart de leurs populations d’ici l’été 2021. Il s’agit d’une part qui pourrait évoluer de 13,8 % à 49,3 %, soit, une baisse de PIB allant de 0,30 % à 3,79 %.

  • Dans le scénario le plus optimiste, selon lequel, les pays du Sud parviendraient à vacciner la moitié de leurs populations d’ici la fin de l’année, l’économie mondiale subirait des coûts allant de 1,8 à 3,8 trillions de dollars. Jusqu’à 49 % de ces pertes seraient encaissées par les pays du Nord.
  • En revanche, Dans le scénario le plus pessimiste, selon lequel, les pays du Nord seraient entièrement vaccinés et ceux du Sud seraient largement exclus de la vaccination, l’économie mondiale subirait des pertes supérieures à 9,2 trillions de dollars, en 2021. Près de la moitié de ces pertes seraient absorbées par des économies avancées comme le Canada, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon et l’Union européenne.
  • En Afrique, les conséquences économiques de la non-vaccination gratuite et universelle seraient désastreuses. Selon Chidi Oguamanam, alors que le PIB des économies à revenu élevé pourrait subir une baisse estimée à 10%, celui des économies africaines connaîtrait une évolution négative estimée à 20%. Sans oublier qu’un tel recul aurait des incidences directes sur les avancées économiques et sociales accomplies durant les deux dernières décennies. Pour un continent où la quasi-totalité de son économie est tirée par l’informel (80,00%), la récession engendrée par les mesures sanitaires risquerait de déstabiliser l’équilibre politique d’un bon nombre de pays africains.

La relance post-pandémie passe par la vaccination gratuite et universelle

Force est de constater que les pays du Nord sont étroitement liés à des pays n’ayant pas encore vacciné leurs populations. Plus on entretient de liens économiques avec ces économies, plus les coûts reliés à la non-vaccination sont élevés. À cause de la récession qu’impose la pandémie aux économies non vaccinées, les exportateurs et les importateurs des économies avancées seraient, d’une part, exposés à des marchés en stagnation voire en déclin, et, d’autre part, victimes de chaînes de valeur mondiales perturbées.

  • Si les populations des pays du Sud restent sans emploi en raison des mesures de confinement, ils auraient moins de revenus à dépenser, ce qui nuirait aux exportations d’Amérique du Nord, d’Asie de l’Est et d’Europe (Goodman, 2021).
  • Par ailleurs, les industriels des pays du Nord auraient du mal à sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement qui seraient désormais bouleversées par la perturbation des chaînes de valeurs mondiales. Selon le Centre du commerce international (CCI), les importations en intrants manufacturiers de l’Union européenne diminueraient de 147 milliards de dollars, tout comme celles de Chine et des États-Unis dont la baisse est évaluée respectivement à 42 et 38 milliards de dollars. Un tel constat est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des secteurs dont la production implique de nombreuses parties prenantes établies dans plusieurs pays. Les secteurs des machines, des plastiques et du caoutchouc, des produits chimiques et des équipements électroniques seraient les secteurs les plus affectés par ces perturbations. En raison de la baisse de leurs exportations d’intrants manufacturiers, ces secteurs seraient les plus grands perdants en termes de valeur, soit, une baisse estimée respectivement à 44, 29 et 23 milliards de dollars.

En raison de l’interconnexion entre les économies développées et celles en développement, la relance post-pandémie nécessite une vaccination gratuite et universelle. Selon John Denton, Secrétaire général de la Chambre de commerce international (CCI), « Aucune économie, aussi grande soit-elle, ne sera immunisée contre les effets du coronavirus tant que la pandémie perdure ». Clairement, la suspension des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins anti-coronavirus n’est pas un acte de générosité de la part des pays du Nord, mais plutôt, un investissement essentiel pour relancer leurs économies.